Page:Anatole France - Le Petit Pierre.djvu/21

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montrait grave et parfois sombre. Comme Lamartine, il riait rarement, n’avait nul sens du comique, ne pouvait souffrir la caricature et ne goûtait ni Rabelais, ni La Fontaine. Enveloppé d’une sorte de mélancolie poétique, il était vraiment un fils du siècle ; il en avait l’esprit et l’attitude. Sa coiffure comme son habit étaient en harmonie avec le génie de l’heure romantique. Les hommes de cette génération se coiffaient en coup de vent. Sans doute une brosse savante imprimait ce désordre à leur chevelure ; mais ils semblaient toujours exposés aux orages et battus de l’aquilon. Mon père, tout simple qu’il était, avait sa part de coup de vent et de mélancolie.

En m’ajustant sur lui, je devins pessimiste et joyeux, comme il était optimiste et mélancolique. En toutes choses, d’instinct, je m’opposais à lui. Il se plaisait, avec les romantiques, dans le vague et l’indéterminé. Je me mis à aimer la raison ornée et la belle ordonnance de l’art classique. Au cours des années, ces contrastes s’accentuèrent et nous rendirent la conversation un peu difficile, sans altérer nos sentiments réciproques. Je dois ainsi à cet