Page:Anatole France - Le Petit Pierre.djvu/22

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

excellent père quelques qualités et beaucoup de défauts.

Ma mère, bien qu’elle n’eût pas beaucoup de lait, désirait ardemment me nourrir elle-même. Elle y fut autorisée par le vieux Fournier, disciple de Jean-Jacques. Elle me donna le sein avec une vive allégresse. Ma santé s’en trouva bien, et j’aurais lieu de m’en féliciter si, comme beaucoup le prétendent, les qualités de l’âme se sucent avec le lait.

Ma mère avait un esprit charmant, l’âme belle et généreuse et le caractère difficile. Trop sensible, trop aimante, trop facile à émouvoir pour trouver la paix en elle-même, la religion, disait-elle, lui apportait une tranquillité heureuse. Sobre de pratiques extérieures, elle était profondément pieuse. La vérité m’oblige à dire qu’elle ne croyait pas à l’enfer. Mais c’était sans obstination ni malice, puisque l’abbé Moinier, son confesseur, ne lui refusait pas les sacrements. Encline à la gaîté, une enfance sans joies, puis les soins du ménage et les soucis d’un amour maternel poussé jusqu’à la passion assombrirent son caractère et troublèrent sa santé naturellement bonne. Elle affligea mon enfance par des accès de mélan-