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Page:Anatole France - Le Petit Pierre.djvu/229

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vain il taillait les plumes d’oie, en vain un tableau en ronde, anglaise, gothique et bâtarde, accroché à la porte de la rue, énumérait les titres du calligraphe expert et comptable diplômé. Nul élève ne se présenta. Il se fit courtier d’assurances sur la vie. Sa belle prestance et sa parole persuasive lui eussent procuré de nombreux abonnements. Mais le vin et l’amour consommèrent ses premiers gains et l’empêchèrent d’en réaliser de nouveaux, malgré le zèle d’Huguet qui faisait le courtage pour son ami, mais n’y réussissait pas, parce qu’il louchait horriblement, puait le vin, était bègue, et que la persuasion n’habitait pas ses lèvres. Les deux compères ouvrirent, après cette déconvenue, à Montrouge, dans l’atelier d’un mouleur, une salle d’armes où Hyacinthe, maître d’escrime, avait Huguet pour prévôt. Comme le mouleur continuait à travailler, à ses heures, dans la salle, le plâtre qui remplissait les fentes du plancher s’élevait, à chaque assaut, sur les pas des escrimeurs et les enveloppait d’une acre nue qui leur tirait sous le masque des larmes et des éternuements. Ce furent encore le vin et l’amour qui mirent fin à cette noble profession des