Aller au contenu

Page:Anatole France - Le Petit Pierre.djvu/228

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

de Gand, entouré de quelques frères d’armes, et suivi d’Huguet comme d’un barbet, il faisait un opprobre à l’Angleterre de la captivité de Napoléon et, au sortir de l’estaminet, se tournant vers le nord-ouest, il dénonçait d’un doigt vengeur la perfide Albion ; ses lèvres formaient des vœux pour qu’advînt le règne du fils de l’homme. S’il rencontrait quelque fidèle sujet décoré par le roi d’un lys d’argent, il grognait imperceptiblement et disait : « Encore un compagnon d’Ulysse ! » S’il pouvait attraper un chien sans être vu, il lui attachait à la queue une cocarde blanche. Mais il ne se mêlait ni de complots ni de conspirations et même évitait les duels. L’oncle Hyacinthe, comme Panurge, craignait naturellement les coups. Huguet était brave pour lui et toujours prêt à en découdre. Réduit à vivre des ressources de son esprit, Hyacinthe s’étant fait professeur d’écriture et de tenue de livres, rue Montmartre, Huguet lavait les planchers et faisait griller des saucisses, tandis qu’en attendant les élèves, Hyacinthe taillait magistralement ses plumes d’oie et en posait la pointe sur l’ongle du pouce gauche pour porter avec décision le coup de canif magistral qui ouvrait le bec. Mais en