Page:Anatole France - Le Petit Pierre.djvu/233

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mourut. Hyacinthe se remit à rédiger des baux et à faire pour les boutiquiers en détresse et les maritornes amoureuses office d’avocat et de parfait secrétaire. Mais sa belle main commençait à trembler, son regard se voilait, sa tête s’appesantissait ; il demeurait de longues heures somnolent et sans pensée. Six semaines après la mort d’Huguet, il tomba frappé d’apoplexie. On le porta dans la chambre de la rue du Sabot où logeait sa pauvre femme qui ne l’avait pas vu depuis quarante ans et l’aimait comme au jour de ses noces. Elle l’entoura des soins les plus tendres. Paralysé du bras gauche et traînant la jambe, il bougeait à peine et ne parlait plus. Chaque matin, elle le portait de son lit à la fenêtre où il passait la journée, regardant du côté du soleil. Elle lui bourrait sa pipe et ne le quittait pas des yeux. Au bout de six mois, frappé d’une seconde attaque, il vécut six jours sans mouvement. Sa langue embarrassée ne laissait passer que des sons indistincts ; mais on crut l’entendre appeler Huguet au moment de sa mort.

Mon père ne prononçait jamais le nom de l’oncle Hyacinthe. Ma mère évitait de parler de