terrible. C’était une grande femme, noire et sèche, qui avait des dents démesurées, mais en petit nombre. Elle venait chercher sa tante Mélanie pour l’emmener à Jouy, sous son toit. Je sentis que toute résistance était impossible, je fondis en larmes. On s’embrassa : ma mère, pour me consoler, me promit de me mener bientôt à Jouy. Ma vieille Mélanie était plus morte que vive ; mais une chose profonde et subtile me frappa en elle. Je vis qu’en dénouant son tablier, elle avait défait les liens qui l’attachaient à la vie bourgeoise et qu’elle redevenait désormais une autre personne à laquelle je ne me rattachais plus en rien, une paysanne. Je compris que je l’avais irréparablement perdue, ma bonne Mélanie.
Nous la reconduisîmes jusqu’à la charrette qui l’emportait au côté de sa nièce. Le fouet effleura les oreilles de la jument. Ils partirent. Je vis s’éloigner le fond blanc et rond comme un fromage de son bonnet rustique. Ce fut ma première douleur. Je la sens encore.
En perdant Mélanie, je perdais plus que je ne croyais : je perdais la douceur et la joie de ma première enfance. Ma mère, qui estimait Mélanie, eut la générosité de n’être pas