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Page:Anatole France - Le Petit Pierre.djvu/258

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une quinzaine d’années auparavant, et dont le puissant crayon d’Honoré Daumier avait fait tour à tour, dans les journaux satiriques, un financier, un député, un pair de France, un ministre. Ce nom de Robert Macaire ayant été trouvé trop long, on le réduisit à Caire. C’était un petit chien jaune, sans race et de beaucoup d’esprit. Il avait de qui tenir : Finette, sa mère, faisait son marché elle-même, payait comptant le tripier et portait sa viande à madame Mathias pour qu’elle la fît cuire.

L’intelligence de Caire s’était développée beaucoup plus vite que la mienne, et il pratiquait depuis longtemps les arts nécessaires à la vie, quand j’étais encore sans aucune connaissance du monde et de moi-même. Tant qu’on me porta dans les bras, il fut jaloux de moi. Il ne cherchait jamais à me mordre, soit qu’il y vît du danger, soit que je lui inspirasse plus de mépris que de haine ; mais il regardait ma mère et ma vieille bonne, qui me donnaient leurs soins, de cet air sombre et misérable qui exprime l’envie. Par un reste de sagesse que lui laissait cette malheureuse passion, il les fuyait autant qu’on peut fuir ceux avec lesquels on vit. Il se réfugiait auprès de mon