Page:Anatole France - Le Petit Pierre.djvu/259

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

père et passait ses jours sous la table du docteur, en boule sur une affreuse peau de mouton. Dès mes premiers pas, ses sentiments pour moi changèrent. Il me témoigna de la sympathie et prit plaisir à jouer avec ce petit être incertain et débile. Quand j’eus atteint l’âge de comprendre, je l’admirai ; je le reconnaissais supérieur à moi par son intelligence profonde de la nature, mais, sur beaucoup de points, je l’avais rattrapé.

Si Descartes a voulu, contre toute apparence, que les animaux fussent des machines, il faut l’en excuser, puisque sa philosophie l’y obligeait et qu’un philosophe soumettra toujours la nature qui lui est étrangère à son système qui est sorti de lui. Il n’y a plus de cartésiens ; peut-être y a-t-il encore des gens pour dire que les animaux ont de l’instinct et que l’homme a de l’intelligence. Dans mon enfance, cela se professait couramment. C’est une bêtise. Les animaux ont une intelligence de même nature que la nôtre, différente seulement de la nôtre en raison de la différence de leurs organes, et qui, comme la nôtre, contient le monde. Nous avons comme eux ce génie secret, cette sagesse inconsciente, l’ins-