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Page:Anatole France - Le Petit Pierre.djvu/263

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de son maître, tenait nonchalamment entre ses pattes un os de gigot. Caire l’observa longtemps sans l’aborder d’aucune manière, ce qui dénote, chez un chien, peu de savoir-vivre. Mais Caire ne se piquait pas de politesse. Mouton, voyant venir un cheval de sa connaissance qui voiturait, selon sa coutume, des fromages de Hollande, laissa son os, et se leva pour donner le bonjour à son ami le cheval. Aussitôt Caire mit sournoisement l’os dans sa gueule, et prenant garde d’être vu, courut le cacher dans la boutique de Simonneau, le fruitier de la rue des Beaux-Arts, chez qui il fréquentait. Puis, d’un air indifférent, il retourna vers Mouton, l’observa et, voyant qu’il cherchait son os, se mit à rire.

Caire et moi, nous nous aimions sans le savoir, ce qui est une commode et sûre manière d’aimer. Il y avait huit ans que nous étions tous deux sur cette planète sans savoir exactement, ni l’un ni l’autre, ce que nous y étions venus faire, quand mon pauvre contemporain, qui se faisait gras et poussif, fut atteint d’une maladie cruelle, la pierre. Il souffrait sans se plaindre, son poil devenait terne et sec, il était triste et ne mangeait plus. Le vétérinaire