Page:Anatole France - Le Petit Pierre.djvu/262

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parut dans la cour travesti en une espèce de petit lion très ridicule. Il avait été apprêté par un de ces tondeurs qui, dans les beaux jours d’été, tondent les chiens sur la berge de la Seine, aux environs du Pont-Neuf. Sa toison ménagée sur les épaules lui faisait comme une crinière ; sa croupe, son ventre, rasés, misérablement nus, montraient une peau mince, d’un rose sale, truffée de bleu sombre ; les pattes gardaient des poils frisottants, en façon de manchettes, et la queue s’ornait d’un houppette tristement bouffonne. Caire l’observa quelque temps avec attention et détourna la tête : il ne le reconnaissait pas. En vain, Bertrand l’appelait, le priait, le suppliait, attachait sur lui le regard de ses beaux yeux larmoyants. Caire ne le regardait plus et l’attendait toujours.

On dit que les chiens ne rient point. J’ai vu notre Caire rire et d’un rire mauvais. Il riait en silence, mais la tension de ses lèvres et un certain pli de sa joue exprimaient le rire et le sarcasme. Un matin, j’étais allé aux provisions, avec ma vieille bonne. Mouton, le chien de M. Courcelles l’épicier, Mouton, un terre-neuve qui n’aurait fait de Caire qu’une bouchée, le beau Mouton, étendu devant la porte