Page:Anatole France - Le Petit Pierre.djvu/278

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cet article de plus grandes licences. Au reste, l’essentiel de mon armement, comme on ne le verra que trop tout à l’heure, consistait en une hache à deux tranchants découpée dans du carton et fixée au bout d’un vieux manche d’ombrelle. En cet équipage, je pris d’assaut la cuisine qui me représentait Jérusalem et frappai de ma hache à coups redoublés Justine qui, allumant le fourneau, figurait contre son gré un infidèle. La foi qui m’embrasait fortifiait mon bras. Justine peu douillette et même dure, comme elle disait elle-même, eût tranquillement supporté l’attaque, si la hache d’armes à deux tranchants n’eût pas accroché le bonnet de la jeune paysanne. Or ce bonnet était pour elle quelque chose d’infiniment précieux, non pas seulement pour sa forme agréable et pour sa riche dentelle, mais pour des raisons mystérieuses et profondes, peut-être comme emblème du village, comme symbole de la patrie, comme insigne des filles d’une terre adorée. Elle le tenait pour auguste ; elle le tenait pour sacré. Et voilà qu’il lui est indignement arraché ! Elle l’entend craquer. Et du même coup, j’avais fait pis encore : j’avais dérangé le chignon de Justine. Or, Justine