Berquin, orphelin selon Bouilly, me transformer en des personnages divers, vivre plusieurs vies. Je cédais à un désir ardent de sortir de moi-même, d’être un autre, plusieurs autres, tous les autres, s’il eût été possible, toute l’humanité et toute la nature. Il m’en est resté la faculté assez rare d’entrer facilement dans l’esprit d’autrui, de comprendre très bien et parfois trop bien les sentiments et les raisons qu’on m’oppose.
Ce dernier trait fixa dans l’esprit de Justine l’idée que j’étais idiot. La jeune Tourangelle ne tarda pas à me regarder comme un idiot dangereux.
Quand j’appris l’histoire des croisades, les hauts faits des barons chrétiens m’enflammèrent d’enthousiasme. Il est louable de vouloir imiter ce qu’on admire. Pour ressembler autant que possible à Godefroy de Bouillon, je me fis une armure et un casque avec du papier sur lequel j’avais collé de ces feuilles métalliques dont on enveloppe le chocolat. Et si l’on m’objecte qu’un tel habit ressemblait moins aux cottes de maille des xiie et xiiie siècles qu’aux armures polies du xve je répondrai délibérément que d’illustres peintres ont pris sur