Page:Anatole France - Le Petit Pierre.djvu/28

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de soie, moucheté de tabac à priser, qui, déployé, laissait voir Napoléon en redingote grise sur la colonne Vendôme. Puis le vieux monsieur faisait sortir du fond du chapeau un petit gâteau sec qu’il élevait lentement au-dessus de sa tête, un petit gâteau rond et plat, luisant et strié sur une de ses faces. Je levais les bras pour le saisir ; mais le vieux monsieur ne me l’abandonnait qu’après avoir joui à loisir de mes inutiles efforts et du gémissement de mes désirs frustrés. Enfin, il se divertissait de moi comme d’un petit chien. Et je crois que, sitôt que je m’en aperçus, je m’en fâchai, me sentant de cette race audacieuse qui domine tous les animaux.

Ces gâteaux, quand on y mordait, mettaient comme du sable dans la bouche ; mais ce sable se réduisait bientôt en une pâte sucrée d’un goût assez agréable, malgré l’âcreté du tabac qui s’y faisait fortuitement sentir. Je les aimai ou crus les aimer jusqu’à ce que je découvrisse qu’ils venaient d’une vieille boulangerie de la rue de Seine où ils étaient conservés tristement dans un bocal verdâtre. Le dégoût m’en prit alors ; et je ne le cachai pas assez au vieux monsieur qui en fut contristé.