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Page:Anatole France - Le Petit Pierre.djvu/302

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condition. Un jour, elle alla voir le rhinocéros à la foire et demanda à un gros homme habillé en Turc, si c’était lui le rhinocéros. — Non, madame, répondit le gros homme, mais c’est moi qui le montre.

Elle parla ensuite, je ne sais à quel propos, des Cosaques qui étaient venus en France en 1815. Et elle me conta ce qu’elle m’avait conté maintes fois, jadis, dans nos promenades.

— Un de ces vilains Cosaques voulut m’embrasser. Je m’y refusai, et rien au monde ne m’y aurait fait consentir. Ma sœur Célestine me disait de prendre garde que nous n’étions point nos maîtres et que, si je rebutais ainsi les Cosaques, ils pourraient mettre, de dépit, le feu au village. Et dans le fait, ils étaient vindicatifs. Mais je ne me laissai point embrasser.

— Mélanie, est-ce que tu aurais rebuté le Cosaque, si tu avais été sûre qu’il brûlerait le village pour cela ?

— Je l’aurais rebuté, dussent mes père et mère, oncles, tantes, neveux, nièces, frères et sœurs, et monsieur le maire, monsieur le curé et tous les habitants, être grillés dans leurs maisons avec les bêtes et les denrées.