Page:Anatole France - Le Petit Pierre.djvu/312

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il les porte dans sa cabane, où sa femme en prend soin, et les élève comme des pâtres, ne sachant pas que ces jumeaux sont du sang des rois et des dieux. Je les voyais à mesure que la voix du maître les tirait des ténèbres du texte, les héros d’une si merveilleuse histoire, Numitor et Amulius, rois d’Albe la Longue, Rhea Silvia, Faustulus, Acca Laurentia, Remus et Romulus. Leurs aventures occupaient toutes les facultés de mon âme ; la beauté de leurs noms me les faisait paraître beaux. Quand Justine me ramena à la maison, je lui décrivis les deux jumeaux et la louve qui les nourrissait, et lui contai enfin toute l’histoire que je venais d’apprendre et qu’elle eût mieux écoutée, si ses esprits eussent été moins émus d’une pièce fausse de deux francs, que le charbonnier lui avait subrepticement passée ce jour même.

Le De Viris me causa encore quelques joies. J’aimai la nymphe Égérie qui inspirait à Numa, dans une grotte, au bord d’une fontaine, des lois sages. Mais bientôt, les Sabins, les Étrusques, les Latins, les Volsques, me tombèrent sur les bras et m’assommèrent. Et puis, si je savais mal le français, je ne savais