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Page:Anatole France - Le Petit Pierre.djvu/316

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camarade Hangard, qui nous dominait tous de sa haute taille, de sa voix forte et de son caractère impérieux, monta sur un banc de pierre et nous harangua.

Hangard était bègue mais éloquent ; c’était un orateur, un tribun ; il y avait en lui du Camille Desmoulins.

— Moucherons, nous dit-il, est-ce que vous n’en avez pas assez de jouer au chat perché et au cheval fondu ? Changeons de jeu. Jouons à l’attaque de la diligence. Je vais vous montrer comment on s’y prend. Ce sera très amusant ; vous verrez.

Il dit. Nous lui répondons par des cris de joie et des acclamations. Aussitôt, faisant succéder l’action à la parole, Hangard organise le jeu. Son génie pourvoit à tout. En un instant, les chevaux sont attelés, les postillons font claquer leur fouet, les brigands s’arment de couteaux et de tromblons, les voyageurs bouclent leurs bagages et remplissent d’or leurs sacs et leurs poches. Les cailloux de la cour et les lilas qui bordaient le jardin de M. le directeur nous avaient fourni le nécessaire. On partit. J’étais un voyageur et l’un des plus humbles ; mais mon âme s’exaltait à la beauté du paysage et