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Page:Anatole France - Le Petit Pierre.djvu/317

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aux dangers de la route. Les brigands nous attendaient dans les gorges d’une montagne affreuse, formée par le perron vitré qui conduisait au parloir. L’attaque fut surprenante et terrible. Les postillons tombèrent. Je fus renversé, foulé aux pieds des chevaux, criblé de coups, enseveli sous une foule de morts. Se dressant sur cette montagne humaine, Hangard en faisait une forteresse redoutable que les brigands escaladèrent vingt fois, et dont ils furent vingt fois rejetés. J’étais moulu, j’avais les coudes et les genoux écorchés, le bout du nez incrusté d’une multitude de petites pierres aiguës, les lèvres fendues, les oreilles en feu ; jamais je n’avais senti tant de plaisir. La cloche qui sonna me déchira l’âme en m’arrachant à mon rêve. Pendant la classe de M. Grépinet, je demeurai stupide et privé de sentiment. La cuisson de mon nez et la brûlure de mes genoux m’étaient agréables en me rappelant cette heure où j’avais si ardemment vécu. M. Grépinet me fit plusieurs questions auxquelles je ne pus répondre, et il me traita d’âne, ce qui me fut d’autant plus pénible que, n’ayant pas lu la Métamorphose, je ne savais pas encore qu’il me suffisait de manger des roses pour rede-