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bouquins étaient destinés à recevoir plus de taches d’encre que les vitres de l’épicier de la rue des Saints-Pères ne reçoivent de taches de boue en hiver. Mais la première macule désespère : les autres vont de soi. Ces considérations, pour peu qu’on les poussât, nous mèneraient loin des grammaires et des dictionnaires. Quant à moi, je cherchai tout de suite dans mon paquet de livres Esther et Athalie. Par un coup du sort, qui me fut cruel, cet ouvrage manquait ; l’économe, auquel je le réclamai, me dit que je l’aurais en temps utile et que je n’avais pas à m’inquiéter.

Ce fut seulement quinze jours plus tard, le jour des Morts, que je reçus Esther et Athalie, Un petit volume cartonné à dos de toile bleue, qui portait sur le plat ce titre en papier gris : Racine, Esther et Athalie, tragédies tirées de l’écriture sainte, édition à l’usage des classes. Ce titre ne m’annonçait rien de bon. J’ouvris le livre : c’était pis qu’on n’eût pu craindre. Esther et Athalie étaient en vers. On sait que tout ce qui est écrit en vers se comprend mal et n’intéresse pas. Esther et Athalie formaient deux pièces distinctes et tout en vers. En grands vers. Ma mère avait cruellement raison. Alors