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Page:Anatole France - Le Petit Pierre.djvu/345

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dit que vous avez créé les caractères les plus vrais qui aient été mis au jour par un poète ; je n’ai jamais dit que vous étiez la vie même et la nature même. Vous avez seul offert en spectacle de véritables femmes. Que sont les femmes de Sophocle et de Shakespeare, auprès de celles que vous avez animées ? Des poupées ! Les vôtres ont seules des sens et cette chaleur intime que nous appelons l’âme. Les vôtres seules aiment et désirent ; les autres parlent ; je ne veux pas mourir sans avoir écrit quelques lignes au pied de votre monument, ô Jean Racine, en témoignage de mon amour et de ma piété. Et si je n’ai pas le temps d’accomplir ce devoir sacré, que ces lignes négligées, mais sincères, me servent de testament.

Mais je n’ai pas dit qu’ayant refusé d’apprendre la prière d’Esther : Ô mon souverain roi (et ce sont là les plus beaux vers de la langue française), mon professeur de huitième me fît copier cinquante fois le verbe : Je n’ai pas appris ma leçon. Mon professeur de huitième était un mortel profane. Ce n’est pas ainsi qu’on venge la gloire d’un poète. Aujourd’hui, je sais Racine par cœur, et il m’est toujours nouveau. Quant à toi, vieux Richou