Page:Anatole France - Le Petit Pierre.djvu/44

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Je la pressai de me donner mon angélique. Elle me répéta qu’elle n’avait point d’angélique et visiblement elle parlait pour tout de bon. Sûr, hélas ! du témoignage de mes sens et des lumières de ma raison, je répliquai avec assurance qu’il y avait de l’angélique dans la chambre puisque je la sentais.

L’histoire des sciences abonde en exemples d’une semblable aberration ; et les plus grands génies de l’humanité se sont souvent trompés de la même manière que le petit Pierre Nozière. Le petit Pierre attribuait à un corps certaine propriété qui appartient à un autre corps. Il y a en physique et en chimie des lois aussi mal fondées et qui sont respectées et le seront encore jusqu’à leur tardive abrogation.

Ces considérations n’entrèrent pas dans l’esprit de ma chère maman qui haussa les épaules et me traita de petit imbécile. Je fus outré et déclarai que je n’étais pas un petit imbécile et qu’il y avait de l’angélique puisque je la sentais, et que ce n’était pas bien à une maman de mentir à son petit garçon. En entendant ce reproche, ma mère me regarda avec une surprise et une tristesse profondes. Je fus soudain convaincu par ce regard que ma chère