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s’apercevait pas assez de la révolution que je venais d’opérer dans les arts du dessin.

Je répétai plusieurs fois :

— Maman, regarde !

— C’est bien, je vois. Laisse-moi tranquille.

— Non ! tu ne vois pas, maman !

Et je voulus lui arracher le livre qui la détournait de mon chef-d’œuvre.

Elle me défendit de toucher à ce livre avec mes mains sales.

Je lui criai désespérément :

— Tu ne vois donc pas !

Elle ne daignait rien voir et m’ordonnait de me taire.

Outré d’un tel aveuglement et d’une telle injustice, je frappai du pied, je fondis en larmes, je déchirai mon chef-d’œuvre.

— Que cet enfant est nerveux ! soupira ma mère.

Et elle me mena coucher.

J’étais en proie à un sombre désespoir. Songez donc ! Avoir fait faire aux arts un bond immense, avoir créé un moyen prodigieux d’exprimer la vie, et, pour tout salaire et pour toute gloire, être envoyé coucher !

Peu de temps après cette disgrâce, il m’en