Page:Anatole France - Le Petit Pierre.djvu/50

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arriva une autre qui ne me fut pas moins cruelle. Voici dans quelle circonstance : Ma mère m’avait appris assez vite à former passablement mes lettres. Sachant un peu écrire, je pensai que rien ne m’empêchait de composer un livre. J’entrepris, sous les yeux de ma chère maman, un petit traité théologique et moral. Je le commençai en ces termes : « Qu’est-ce que Dieu… » et aussitôt je le portai à ma mère pour lui demander si cela était bien ainsi. Ma mère me répondit que c’était bien, mais qu’à la fin de cette phrase, il fallait un point d’interrogation. Je demandai ce que c’était qu’un point d’interrogation.

— C’est, dit ma mère, un signe qui marque qu’on interroge, qu’on demande quelque chose. Il se met après toute phrase interrogative. Tu dois mettre un point d’interrogation puisque tu demandes : « Qu’est-ce que Dieu ? »

Ma réponse fut superbe :

— Je ne le demande pas. Je le sais.

— Mais si ! tu le demandes, mon enfant.

Je répétai vingt fois que je ne le demandais pas, puisque je le savais, et je me refusai absolument à mettre ce point d’interrogation qui m’apparaissait comme un signe d’ignorance.