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Page:Anatole France - Le Petit Pierre.djvu/78

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sine. Ils buvaient tout d’un trait, faisaient claquer leur langue et s’essuyaient la bouche à leur manche. Tout en me plaisant assez par un certain air jovial, ils ne m’inspiraient aucun désir de me rendre semblable à eux.

Non, je ne voulais pas être tambour ; je voulais plutôt être général, et, si je désirais ardemment une caisse et des baguettes noires, c’est que j’associais à ces objets mille images guerrières.

On ne pouvait me reprocher alors de préférer le lit de Cassandre à la lance d’Achille. Je ne respirais qu’armes et combats ; je me réjouissais dans le carnage ; je devenais un héros, si les destins « qui gênent nos pensées » l’eussent permis. Ils ne le permirent point. Dès l’année suivante, ils me détournèrent d’un si beau chemin et m’inspirèrent d’aimer les poupées. Malgré la honte qu’on m’en fit, j’en achetai plusieurs sur mes économies. Je les aimais toutes ; j’en préférais une, et ma bonne mère m’a dit que ce n’était pas la plus jolie. Mais pourquoi me hâter de ternir ainsi la gloire si pure de ma quatrième année, alors qu’un tambour faisait toute mon envie ?

Comme je n’étais pas stoïque, je confiais