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Page:Anatole France - Le Petit Pierre.djvu/93

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théâtre, ai-je besoin de le dire, ne fut pas porté d’un coup à la perfection. La tragédie grecque sortit du chariot de Thespis. Je chantonnai en marquant la mesure d’un mouvement de ma main : telle fut l’origine de mon odéon. Il naissait humblement. Une rougeole bénigne me retint à propos au lit pour le perfectionner. Je dirigeais cinq acteurs ou plutôt cinq caractères comme ceux de la comédie italienne. C’étaient les cinq doigts de ma main droite. Chacun avait son nom comme sa physionomie. Et, ainsi que les masques du théâtre italien auxquels je ne saurais trop les comparer, mes personnages gardaient leur nom dans les rôles qu’ils tenaient, à moins toutefois que la pièce ne les obligeât à en changer, ce qui arrivait, par exemple, dans les drames historiques. Mais ils conservaient invariablement leur caractère propre. À cet égard, sans les flatter, ils ne se sont jamais démentis.

Le pouce s’appelait Rappart. Pourquoi ? Je n’en sais rien. N’espérons pas tout éclaircir. On ne peut donner des raisons de tout. Rappart, court, large, trapu, d’une force prodigieuse, était un individu sans éducation, violent, querelleur, ivrogne, un vrai Caliban, for-