Page:Anatole France - Le Puits de sainte Claire.djvu/142

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corps de Jésus-Christ, sans aussitôt inspirer aux hommes qui la voyaient un ardent désir de la tenir serrée contre eux.

Or, madame Eletta vint à épouser, vers l’âge de quinze ans, messer Antonio Torlota, avocat, qui était très savant homme, de bonne renommée et riche, mais déjà en son vieil âge, et si épais et difforme, qu’en le voyant portant ses écritures en un grand sac de cuir, on ne savait quel sac traînait l’autre.

C’était pitié de penser que, par l’effet du sacrement de mariage, qui est institué sur les hommes pour leur gloire et salut éternel, la plus belle dame de Vérone couchât avec un si vieil homme, infirme et ruineux. Et les sages virent avec plus de douleur que de surprise que, profitant de la liberté que lui laissait son mari, occupé toute la nuit de résoudre des difficultés touchant le juste et l’injuste, la jeune femme de Messer Antonio Torlota recevait dans son lit les plus beaux cavaliers de la ville. Mais le plaisir qu’elle y prenait venait d’elle et non point d’eux. Elle s’aimait et ne les aimait pas. Elle n’eut jamais de goût que pour sa propre chair. Elle était à