Page:Anatole France - Le Puits de sainte Claire.djvu/144

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ses femmes de ses plus riches atours, se regarda dans un miroir, se caressa des deux mains la poitrine et les hanches, afin de jouir une dernière fois de ses propres charmes. Et, ne consentant point à ce que ce corps adoré d’elle fût mangé des vers dans la terre humide, elle dit en expirant, avec un grand soupir de foi et d’espérance :

— Satan, bien-aimé Satan, prends mon âme et mon corps ; Satan, mon doux Satan, écoute ma prière : prends mon corps avec mon âme.

Elle fut porté à San Zenone, selon la coutume, à visage découvert ; et, de mémoire d’homme, l’on n’avait point vu de morte si belle. Pendant que les prêtres chantaient autour d’elle l’office des trépassés, elle semblait pâmée au bras d’un invisible amant. Après la cérémonie, le cercueil de madame Eletta, soigneusement scellé, fut mis en terre sainte, parmi les tombeaux qui entouraient l’église de San Zenone, et dont quelques-uns sont des sarcophages antiques. Mais le lendemain matin, la terre qu’on avait jetée sur la morte avait été enlevée, et l’on vit le cercueil ouvert et vide.