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Page:Anatole France - Le Puits de sainte Claire.djvu/56

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garnies d’une seule dent, mais noire et démesurée. Il est vrai que telle est aujourd’hui ta Néère. Mais si tu m’aimes, je redeviendrai, par toi et pour toi, ce que j’étais aux jours dorés de Saturne, quand ma jeunesse fleurissait dans la jeunesse fleurie du monde. C’est l’amour, ô mon jeune dieu, qui fait la beauté des choses. Pour me rendre belle, il ne te faut qu’un peu de courage. Allons, Mino, de la vigueur !

À ces paroles, accompagnées de gestes, fra Mino, abîmé d’épouvante et d’horreur, se sentit défaillir et glissa de son lit sur le pavé de la cellule. En tombant, il crut voir, entre ses paupières déjà à demi closes, une nymphe d’une forme parfaite, dont le corps nu coulait sur lui comme du lait répandu.

Il se réveilla au grand jour, tout brisé de sa chute. Les feuillets du parchemin qu’il avait noircis la veille couvraient le pupitre. Il les relut, les plia, les scella de son sceau, les mit sous sa robe, et, sans souci des menaces que les sorcières lui avaient faites par deux fois, il alla porter ces révélations au seigneur évêque dont le palais dressait ses créneaux au