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lois générales, avant d’en tirer des applications utiles, et que procéder autrement, c’est s’abandonner aux ténèbres dangereuses de l’empirisme.

Bonaparte en convint. Mais il craignait l’empirisme moins que l’idéologie. Il demanda brusquement à Berthollet :

— Espérez-vous entamer, par vos explications, le mystère infini de la nature, mordre sur l’inconnu ?

Berthollet répondit que, sans prétendre expliquer l’univers, le savant rendait à l’humanité le plus grand des services en dissipant les terreurs de l’ignorance et de la superstition par une vue raisonnable des phénomènes naturels.

— N’est-ce pas être le bienfaiteur des hommes, ajouta-t-il, que de les délivrer des fantômes créés dans leur âme par la peur d’un enfer imaginaire, que de les soustraire au joug des devins et des prêtres, que de leur ôter l’effroi des présages et des songes ?

La nuit couvrait d’ombre la vaste mer. Dans un ciel sans lune et sans nuées, la neige