Page:Anatole France - Les Désirs de Jean Servien.djvu/110

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qui ranimait son amour. Alors les paroles lui montèrent aux lèvres à flots pressés. La représentation de Cinna, celle de Bajazet, la mâle beauté d’Émilie, la férocité délicieuse de Roxane, la tragédienne rencontrée en manteau de velours avec un visage si clair dans les ombres de la nuit, les rêves, les désirs, l’impossibilité d’oublier, il raconta tout avec des cris et des larmes.

M. Tudesco tendait l’oreille en lapant goutte à goutte un verre de chartreuse et en prenant du tabac dans un cornet de papier. Parfois il approuvait de la tête, et il écoutait avec l’air de quelqu’un qui guette. Quand il jugea qu’après de longs retours et des recommencements sans nombre, les confidences étaient épuisées, il prit un air grave, posa sa belle main de prélat sur l’épaule de Servien et dit :

— « Ah ! mon jeune ami, si je croyais que la chose que vous ressentez fût le