Page:Anatole France - Les Désirs de Jean Servien.djvu/79

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signal de la sonnette, la toile se déroula pour la dernière fois, il eut la sensation d’un irréparable écroulement.

On joua ensuite le Tartuffe, mais ni la verve correcte des comédiens, ni le joli visage et les épaules rondes d’Elmire, ni les beaux bras de la soubrette, ni les jeunes yeux de l’ingénue, ni les grands vers heureux qui remplissaient la salle réveillée ne remuèrent son âme arrêtée sur les lèvres d’une tragédienne.

En sortant, le premier souffle d’air frais qui lui frappa le visage dissipa son ivresse. Il se remit à sentir et à penser. Mais il ne pensait qu’à la tragédienne et ne voyait distinctement que l’image de cette femme. Cette obsession dans les rues noires lui était douce, et il fit de longs détours sur les quais pour prolonger son rêve, emportant de volupté autant et plus qu’il n’en pouvait contenir. Il était heureux parce qu’il était las ; nul désir ne s’élevait dans