Page:Anatole France - Les Opinions de Jérôme Coignard.djvu/178

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— Mon fils, répondit mon bon maître, si vraiment l’état des hommes est noble en proportion du danger qu’on y court, je ne craindrai pas d’affirmer que les paysans et les manouvriers sont les plus nobles hommes de l’État, car ils risquent tous les jours de mourir de fatigue et de faim. Les périls auxquels les soldats et les capitaines s’exposent sont moindres en nombre comme en durée ; ils ne sont que de peu d’heures pour toute une vie et consistent à affronter les balles et les boulets qui tuent moins sûrement que la misère. Il faut que les hommes soient légers et vains, mon fils, pour donner aux actions d’un soldat plus de gloire qu’aux travaux d’un laboureur et pour mettre les ruines de la guerre à plus haut prix que les arts de la paix.

— Monsieur l’abbé, demandai-je encore, n’estimez-vous pas que les soldats sont nécessaires à la sûreté de l’État, et que nous devons les honorer en reconnaissance de leur utilité ?