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LES DIEUX ONT SOIF

des menaces de mort s’élevaient sur son passage.

Gamelin restait stupide de douleur. De maigres larmes séchaient dans ses yeux ardents. À sa douleur filiale se mêlaient une sollicitude patriotique et une piété populaire qui le déchiraient.

Il songeait :

« Après Le Peltier, après Bourdon, Marat !… Je reconnais le sort des patriotes : massacrés au Champ de Mars, à Nancy, à Paris, ils périront tous. » Et il songeait au traître Wimpfen qui naguère encore, à la tête d’une horde de soixante mille royalistes, marchait sur Paris, et qui, s’il n’avait été arrêté à Vernon par les braves patriotes, eût mis à feu et à sang la ville héroïque et condamnée.

Et combien de périls encore, combien de projets criminels, combien de trahisons, que la sagesse et la vigilance de Marat pouvaient seules connaître et déjouer ! Qui saurait après lui dénoncer Custine oisif dans le camp de César et refusant de débloquer Valenciennes, Biron inactif dans la Basse-Vendée, laissant prendre Saumur et assiéger Nantes, Dillon trahissant la patrie dans l’Argonne ?…

Cependant, autour de lui, de moment en moment, grandissait la clameur sinistre :