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LES DIEUX ONT SOIF

révéler !… Que faire, que devenir ? Nous avons perdu notre conseiller, notre défenseur, notre ami. » Ils savaient d’où venait le coup, et qui avait dirigé le bras de cette femme. Ils gémissaient :

— Marat a été frappé par les mains criminelles qui veulent nous exterminer. Sa mort est le signal de l’égorgement de tous les patriotes.

On rapportait diversement les circonstances de cette mort tragique et les dernières paroles de la victime ; on faisait des questions sur l’assassin, dont on savait seulement que c’était une jeune femme envoyée par les traîtres fédéralistes. Montrant les ongles et les dents, les citoyennes vouaient la criminelle au supplice et, trouvant la guillotine trop douce, réclamaient pour ce monstre le fouet, la roue, l’écartèlement, et imaginaient des tortures nouvelles.

Des gardes nationaux en armes traînaient à la section un homme à l’air résolu. Ses vêtements étaient en lambeaux ; des filets de sang coulaient sur sa face pâle. On l’avait surpris disant que Marat avait mérité son sort en provoquant sans cesse au pillage et au meurtre. Et ç’avait été à grand’peine que les miliciens l’avaient soustrait à la fureur populaire. On le désignait du doigt comme un complice de l’assassin, et