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Page:Anatole France - Les dieux ont soif.djvu/126

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LES DIEUX ONT SOIF

— Citoyenne, dit-il, bien que je n’aie pas un morceau de pain à donner à ma mère, je jure sur mon honneur que je n’accepte les fonctions de juré que pour servir la République et la venger de tous ses ennemis.

La citoyenne jugea le remerciement froid et le compliment sévère. Elle soupçonna Gamelin de manquer de grâce. Mais elle aimait trop la jeunesse pour ne pas lui pardonner quelque âpreté. Gamelin était beau : elle lui trouvait du mérite. « On le façonnera », songea-t-elle. Et elle l’invita à ses soupers : elle recevait, chaque soir, après le théâtre.

— Vous rencontrerez chez moi des gens d’esprit et de talent : Elleviou, Talma, le citoyen Vigée, qui tourne les bouts-rimés avec une habileté merveilleuse. Le citoyen François nous a lu sa Paméla, qu’on répète en ce moment au Théâtre de la Nation. Le style en est élégant et pur, comme tout ce qui sort de la plume du citoyen François. La pièce est touchante : elle nous a fait verser des larmes. C’est la jeune Lange qui tiendra le rôle de Paméla.

— Je m’en rapporte à votre jugement, citoyenne, répondit Gamelin. Mais le Théâtre de la Nation est peu national. Et il est fâcheux pour le citoyen François que ses ouvrages soient portés sur ces planches avilies par les vers misé-