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LES DIEUX ONT SOIF

Pour renvoyer Henry, elle se tut, bâilla, feuilleta une partition, et bâilla encore. Voyant qu’il ne s’en allait pas, elle lui dit qu’elle avait à sortir et passa dans son cabinet de toilette.

Il lui criait d’une voix émue :

— Adieu, Louise !… Vous reverrai-je jamais ?

Et ses mains fouillaient dans le secrétaire ouvert.

Dès qu’il fut dans la rue, il ouvrit la lettre adressée au citoyen Rauline et la lut avec intérêt. Elle contenait en effet un tableau curieux de l’état de l’esprit public en France. On y parlait de la reine, de la Thévenin, du tribunal révolutionnaire, et maints propos confidentiels de ce bon Brotteaux des Ilettes y étaient rapportés.

Ayant achevé sa lecture et remis la lettre dans sa poche, il hésita quelques instants ; puis, comme un homme qui a pris sa résolution et qui se dit que le plus tôt sera le mieux, il se dirigea vers les Tuileries et pénétra dans l’antichambre du Comité de sûreté générale.


Ce jour-là, à trois heures de l’après-midi, Évariste Gamelin s’asseyait sur le banc des jurés en compagnie de quatorze collègues qu’il connaissait pour la plupart, gens simples, honnêtes et patriotes, savants, artistes ou artisans : un peintre comme lui, un dessinateur, tous deux