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LES DIEUX ONT SOIF

pleins de talent, un chirurgien, un cordonnier, un ci-devant marquis, qui avait donné de grandes preuves de civisme, un imprimeur, de petits marchands, un échantillon enfin du peuple de Paris. Ils se tenaient là, dans leur habit ouvrier ou bourgeois, tondus à la Titus ou portant le catogan, le chapeau à cornes enfoncé sur les yeux ou le chapeau rond posé en arrière de la tête, ou le bonnet rouge cachant les oreilles. Les uns étaient vêtus de la veste, de l’habit et de la culotte, comme en l’ancien temps, les autres, de la carmagnole et du pantalon rayé à la façon des sans-culottes. Chaussés de bottes ou de souliers à boucles ou de sabots, ils présentaient sur leurs personnes toutes les diversités du vêtement masculin en usage alors. Ayant tous déjà siégé plusieurs fois, ils semblaient fort à l’aise à leur banc et Gamelin enviait leur tranquillité. Son cœur battait, ses oreilles bourdonnaient, ses yeux se voilaient et tout ce qui l’entourait prenait pour lui une teinte livide.

Quand l’huissier annonça le Tribunal, trois juges prirent place sur une estrade assez petite, devant une table verte. Ils portaient un chapeau à cocarde, surmonté de grandes plumes noires, et le manteau d’audience avec un ruban tricolore d’où pendait sur leur poitrine une lourde médaille d’argent. Devant eux, au pied de l’estrade, sié-