Page:Anatole France - Les dieux ont soif.djvu/188

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
178
LES DIEUX ONT SOIF

n’avez donc pas deviné ma présence ? Rien ne vous a averti que j’étais là ? Je me tenais dans la tribune, au second rang, à droite. Mon Dieu ! qu’il est doux de faire le bien ! Vous avez sauvé ce malheureux. Sans vous, c’en était fait de lui : il périssait. Vous l’avez rendu à la vie, à l’amour des siens. En ce moment, il doit vous bénir. Évariste, que je suis heureuse et fière de vous aimer !

Se tenant par le bras, serrés l’un contre l’autre, ils allaient par les rues, se sentant si légers, qu’ils croyaient voler.

Ils allaient à l’Amour peintre. Arrivés à l’Oratoire :

— Ne passons pas par le magasin, dit Élodie.

Elle le fit entrer par la porte cochère et monter avec elle à l’appartement. Sur le palier, elle tira de son réticule une grande clef de fer.

— On dirait une clef de prison, fit-elle. Évariste, vous allez être mon prisonnier.

Ils traversèrent la salle à manger et furent dans la chambre de la jeune fille.

Évariste sentait sur ses lèvres la fraîcheur ardente des lèvres d’Élodie. Il la pressa dans ses bras. La tête renversée, les yeux mourants, les cheveux répandus, la taille ployée, à demi évanouie, elle lui échappa et courut pousser le verrou…