Page:Anatole France - Les dieux ont soif.djvu/194

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
184
LES DIEUX ONT SOIF

— Buvez. Et je vous aiderai à regagner votre domicile.

Le Père Longuemare repoussa de la main le flacon et s’efforça de se lever. Mais il retomba sur sa borne.

— Monsieur, dit-il d’une voix faible, mais assurée, depuis trois mois j’habitais Picpus. Averti qu’on était venu m’arrêter chez moi, hier, à cinq heures de relevée, je ne suis pas rentré à mon domicile. Je n’ai point d’asile ; j’erre dans les rues et suis un peu fatigué.

— Eh bien, mon Père, fit Brotteaux, accordez-moi l’honneur de partager mon grenier.

— Monsieur, dit le Barnabite, vous entendez bien que je suis suspect.

— Je le suis aussi, dit Brotteaux, et mes pantins le sont aussi, ce qui est le pis de tout. Vous les voyez exposés, sous cette mince toile, à la pluie fine qui nous morfond. Car, sachez, mon Père, qu’après avoir été publicain je fabrique des pantins pour subsister.

Le Père Longuemare prit la main que lui tendait le ci-devant financier, et accepta l’hospitalité offerte. Brotteaux, en son grenier, lui servit du pain, du fromage et du vin, qu’il avait mis à rafraîchir dans sa gouttière, car il était sybarite.

Ayant apaisé sa faim :