Page:Anatole France - Les dieux ont soif.djvu/206

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
196
LES DIEUX ONT SOIF

d’autres du nom d’« Orphée français ». Robespierre prononça d’une voix claire un discours éloquent contre les ennemis de la République. Il frappa d’arguments métaphysiques et terribles Brissot et ses complices. Il parla longtemps, avec abondance, avec harmonie. Planant dans les sphères célestes de la philosophie, il lançait la foudre sur les conspirateurs qui rampaient sur le sol.

Évariste entendit et comprit. Jusque-là, il avait accusé la Gironde de préparer la restauration de la monarchie ou le triomphe de la faction d’Orléans et de méditer la ruine de la ville héroïque qui avait délivré la France et qui délivrerait un jour l’univers. Maintenant, à la voix du sage, il découvrait des vérités plus hautes et plus pures ; il concevait une métaphysique révolutionnaire, qui élevait son esprit au-dessus des grossières contingences, à l’abri des erreurs des sens, dans la région des certitudes absolues. Les choses sont par elles-mêmes mélangées et pleines de confusion ; la complexité des faits est telle qu’on s’y perd. Robespierre les lui simplifiait, lui présentait le bien et le mal en des formules simples et claires. Fédéralisme, indivisibilité : dans l’unité et l’indivisibilité était le salut ; dans le fédéralisme, la damnation. Gamelin goûtait la joie profonde