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LES DIEUX ONT SOIF

gâteaux de Nanterre. Les marchands de tisane agitaient leur sonnette ; au pied de la statue de la Liberté, un vieillard montrait des gravures d’optique dans un petit théâtre surmonté d’une escarpolette où se balançait un singe. Des chiens, sous l’échafaud, léchaient le sang de la veille. Brotteaux rebroussa vers la rue Honoré.

Rentré dans son grenier, où le Barnabite lisait son bréviaire, il essuya soigneusement la table et y mit sa boîte de couleurs ainsi que les outils et les matériaux de son état.

— Mon Père, dit-il, si vous ne jugez pas cette occupation indigne du sacré caractère dont vous êtes revêtu, aidez-moi, je vous prie, à fabriquer des pantins. Un sieur Joly m’en a fait, ce matin même, une assez grosse commande. Pendant que je peindrai ces figures déjà formées, vous me rendrez grand service en découpant des têtes, des bras, des jambes et des troncs sur les patrons que voici. Vous n’en sauriez trouver de meilleurs : ils sont d’après Watteau et Boucher.

— Je crois, en effet, monsieur, dit Longuemare, que Watteau et Boucher étaient propres à créer de tels brimborions : il eût mieux valu, pour leur gloire, qu’ils s’en fussent tenus à d’innocents pantins comme ceux-ci. Je serais heureux de vous aider, mais je crains de n’être pas assez habile pour cela.