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LES DIEUX ONT SOIF

À la citoyenne Clémence Dezeimeries, née Maubel.

La Réole.


Il donna tout ce qu’il avait d’argent sur lui au porte-clefs, en le priant de faire parvenir cette lettre, demanda une bouteille de vin et but à petits coups en attendant la charrette…

Après souper, Gamelin courut à l’Amour peintre et bondit dans la chambre bleue où chaque nuit l’attendait Élodie.

— Tu es vengée, lui dit-il. Jacques Maubel n’est plus. La charrette qui le conduisait à la mort a passé sous tes fenêtres, entourée de flambeaux.

Elle comprit :

— Misérable ! C’est toi qui l’as tué, et ce n’était pas mon amant. Je ne le connaissais pas… je ne l’ai jamais vu… Quel homme était-ce ? Il était jeune, aimable,… innocent. Et tu l’as tué, misérable ! misérable !

Elle tomba évanouie. Mais, dans les ombres de cette mort légère, elle se sentait inondée en même temps d’horreur et de volupté. Elle se ranima à demi ; ses lourdes paupières découvraient le blanc de ses yeux, sa gorge se gonflait, ses mains battantes cherchaient son amant. Elle le pressa dans ses bras à l’étouffer, lui enfonça les ongles dans la chair et lui donna, de ses