Page:Anatole France - Les dieux ont soif.djvu/266

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
256
LES DIEUX ONT SOIF

— Tu ne reconnais pas ta fille ?…

La vieille dame joignit les mains :

— Julie !… C’est toi… Est-il Dieu possible !…

— Mais oui, c’est moi ! Embrasse-moi, maman.

La citoyenne veuve Gamelin serra sa fille dans ses bras et mit une larme sur le collet du carrick. Puis elle reprit avec un accent d’inquiétude :

— Toi, à Paris !…

— Ah ! maman, que n’y suis-je venue seule !… Moi, on ne me reconnaîtra pas dans cet habit.

En effet, le carrick dissimulait ses formes et elle ne paraissait pas différente de beaucoup de très jeunes hommes qui, comme elle, portaient les cheveux longs, partagés en deux masses. Les traits de son visage, fins et charmants, mais hâlés, creusés par la fatigue, endurcis par les soucis, avaient une expression audacieuse et mâle. Elle était mince, avait les jambes longues et droites, ses gestes étaient aisés ; seule sa voix claire eût pu la trahir.

Sa mère lui demanda si elle avait faim. Elle répondit qu’elle mangerait volontiers, et, quand on lui eut servi du pain, du vin et du jambon, elle se mit à manger, un coude sur la table, belle et gloutonne comme Cérès dans la cabane de la vieille Baubô.