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LES DIEUX ONT SOIF

aspire à une vie laborieuse, exemplaire, et ne songe qu’à se rapprocher des siens. Rien n’empêche que tu la revoies. Elle a épousé Fortuné Chassagne.

— Elle nous a écrit ?

— Non.

— Comment avez-vous de ses nouvelles, ma mère ?

— Ce n’est pas par une lettre, mon enfant ; c’est…

Il se leva et l’interrompit d’une voix terrible :

— Taisez-vous, ma mère ! Ne me dites pas qu’ils sont tous deux rentrés en France… puisqu’ils doivent périr, que du moins ce ne soit pas par moi. Pour eux, pour vous, pour moi, faites que j’ignore qu’ils sont à Paris.. Ne me forcez pas à le savoir ; sans quoi…

— Que veux-tu dire, mon enfant ? Tu voudrais, tu oserais ?…

— Ma mère, écoutez-moi : si je savais que ma sœur Julie est dans cette chambre… (et il montra du doigt la porte close), j’irais tout de suite la dénoncer au Comité de vigilance de la section.

La pauvre mère, blanche comme sa coiffe, laissa tomber son tricot de ses mains tremblantes et soupira, d’une voix plus faible que le plus faible murmure :