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LES DIEUX ONT SOIF

— Mon Père, je vous laisse voir ma faiblesse. J’aime la vie et ne la quitte point sans regret.

— Monsieur, répondit le moine avec douceur, prenez garde que vous êtes plus brave que moi et que pourtant la mort vous trouble davantage. Que veut dire cela, sinon que je vois la lumière, que vous ne voyez pas encore ?

— Ce pourrait être aussi, dit Brotteaux, que je regrette la vie parce que j’en ai mieux joui que vous, qui l’avez rendue aussi semblable que possible à la mort.

— Monsieur, dit le Père Longuemare en pâlissant, cette heure est grave. Que Dieu m’assiste ! Il est certain que nous mourrons sans secours. Il faut que j’aie jadis reçu les sacrements avec tiédeur et d’un cœur ingrat, pour que le Ciel me les refuse aujourd’hui que j’en ai un si pressant besoin.

Les charrettes attendaient. On y entassa les condamnés, les mains liées. La femme Rochemaure, dont la grossesse n’avait pas été reconnue par le chirurgien, fut hissée dans un des tombereaux. Elle retrouva un peu de son énergie pour observer la foule des spectateurs, espérant contre toute espérance y rencontrer des sauveurs. Ses yeux imploraient. L’affluence était moindre qu’autrefois et les mouvements des esprits moins violents. Quelques femmes seule-