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LES DIEUX ONT SOIF

purement, abondamment. Ceux qui sont là, qui ont joué leur vie sur sa tête, s’aperçoivent, épouvantés, que c’est un homme de parole, un homme de comités, de tribune, incapable d’une résolution prompte et d’un acte révolutionnaire.

On l’entraîne dans la salle des délibérations. Maintenant ils sont là tous, ces illustres proscrits : Lebas, Saint-Just, Couthon. Robespierre parle. Il est minuit et demie : il parle encore. Cependant Gamelin, dans la salle du conseil, le front collé à une fenêtre, regarde d’un œil anxieux ; il voit fumer les lampions dans la nuit sombre. Les canons d’Hanriot sont en batterie devant la maison de ville. Sur la place toute noire s’agite une foule incertaine, inquiète. À minuit et demie, des torches débouchent au coin de la rue de la Vannerie, entourant un délégué de la Convention qui, revêtu de ses insignes, déploie un papier et lit, dans une rouge lueur, le décret de la Convention, la mise hors la loi des membres de la Commune insurgée, des membres du conseil général qui l’assistent et des citoyens qui répondraient à son appel.

La mise hors la loi, la mort sans jugement ! la seule idée en fait pâlir les plus déterminés. Gamelin sent son front se glacer. Il regarde la foule quitter à grands pas la place de Grève.

Et, quand il tourne la tête, ses yeux voient