Page:Anatole France - Les dieux ont soif.djvu/355

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
345
LES DIEUX ONT SOIF

cent sols, aux frais de la section ; mais, parce qu’ils avaient eu des rapports de voisinage et d’amitié avec le proscrit, ils éprouvaient de la gêne à rencontrer son regard. Au reste, il faisait chaud : ils avaient soif et étaient pressés d’aller boire un verre de vin.

Gamelin fit un effort pour monter dans la charrette : il avait perdu beaucoup de sang et sa blessure le faisait cruellement souffrir. Le cocher fouetta sa haridelle et le cortège se mit en marche au milieu des huées.

Des femmes qui reconnaissaient Gamelin lui criaient :

— Va donc ! buveur de sang ! Assassin à dix-huit francs par jour !… Il ne rit plus : voyez comme il est pâle, le lâche !

C’étaient les mêmes femmes qui insultaient naguère les conspirateurs et les aristocrates, les exagérés et les indulgents envoyés par Gamelin et ses collègues à la guillotine.

La charrette tourna sur le quai des Morfondus, gagna lentement le Pont-neuf et la rue de la Monnaie : on allait à la place de la Révolution, à l’échafaud de Robespierre. Le cheval boitait ; à tout moment, le cocher lui effleurait du fouet les oreilles. La foule des spectateurs, joyeuse, animée, retardait la marche de l’escorte. Le public félicitait les gendarmes, qui retenaient