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LES DIEUX ONT SOIF

le caractère honnête et vertueux d’Évariste donnerait une force rassurante ; mais Gamelin avait grand’peine à subsister et à soutenir la vie de sa vieille mère : il ne semblait pas qu’il y eût dans une existence si étroite place pour un amour même réduit à la simplicité de la nature. D’ailleurs Évariste n’avait pas encore déclaré ses sentiments ni fait part de ses intentions. La citoyenne Blaise espérait bien l’y obliger avant peu.

Elle arrêta du même coup ses méditations et son aiguille :

— Citoyen Évariste, dit-elle, cette écharpe ne me plaira qu’autant qu’elle vous plaira à vous-même. Dessinez-moi un modèle, je vous prie. En l’attendant, je déferai comme Pénélope ce qui a été fait en votre absence.

Il répondit avec un sombre enthousiasme :

— Je m’y engage, citoyenne. Je vous dessinerai le glaive d’Harmodius : une épée dans une guirlande.

Et, tirant son crayon, il esquissa des épées et des fleurs dans ce style sobre et nu, qu’il aimait. Et, en même temps, il exposait ses doctrines.

— Les Français régénérés, disait-il, doivent répudier tous les legs de la servitude : le mauvais goût, la mauvaise forme, le mauvais dessin. Watteau, Boucher, Fragonard travaillaient pour des tyrans et pour des esclaves. Dans