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LES DIEUX ONT SOIF

leurs ouvrages, nul sentiment du bon style ni de la ligne pure ; nulle part la nature ni la vérité. Des masques, des poupées, des chiffons, des singeries. La postérité méprisera leurs frivoles ouvrages. Dans cent ans, tous les tableaux de Watteau auront péri méprisés dans les greniers ; en 1893, les étudiants en peinture recouvriront de leurs ébauches les toiles de Boucher. David a ouvert la voie : il se rapproche de l’antique ; mais il n’est pas encore assez simple, assez grand, assez nu. Nos artistes ont encore bien des secrets à apprendre des frises d’Herculanum, des bas-reliefs romains, des vases étrusques.

Il parla longtemps de la beauté antique, puis revint à Fragonard, qu’il poursuivait d’une haine inextinguible :

— Le connaissez-vous, citoyenne ?

Élodie fit signe qu’oui.

— Vous connaissez aussi le bonhomme Greuze, qui certes est suffisamment ridicule avec son habit écarlate et son épée. Mais il a l’air d’un sage de la Grèce auprès de Fragonard. Je l’ai rencontré, il y a quelque temps, ce misérable vieillard, trottinant sous les arcades du Palais-Égalité, poudré, galant, frétillant, égrillard, hideux. À cette vue, je souhaitai qu’à défaut d’Apollon quelque vigoureux ami des