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LES DIEUX ONT SOIF

bach, qui, selon son expression, servaient de fondement à la philosophie naturelle :

— Jean-Jacques Rousseau, dit-il, qui montra quelques talents, surtout en musique, était un jean-fesse qui prétendait tirer sa morale de la nature et qui la tirait en réalité des principes de Calvin. La nature nous enseigne à nous entre-dévorer et elle nous donne l’exemple de tous les crimes et de tous les vices que l’état social corrige ou dissimule. On doit aimer la vertu ; mais il est bon de savoir que c’est un simple expédient imaginé par les hommes pour vivre commodément ensemble. Ce que nous appelons la morale n’est qu’une entreprise désespérée de nos semblables contre l’ordre universel, qui est la lutte, le carnage et l’aveugle jeu de forces contraires. Elle se détruit elle-même, et, plus j’y pense, plus je me persuade que l’univers est enragé. Les théologiens et les philosophes, qui font de Dieu l’auteur de la nature et l’architecte de l’univers, nous le font paraître absurde et méchant. Ils le disent bon, parce qu’ils le craignent, mais ils sont forcés de convenir qu’il agit d’une façon atroce. Ils lui prêtent une malignité rare même chez l’homme. Et c’est par là qu’ils le rendent adorable sur la terre. Car notre misérable race ne vouerait pas un culte à des Dieux justes et bienveillants,