Page:Anatole France - M. Leconte de Lisle à l’Académie française, paru dans Le Temps, 27 mars 1887.djvu/14

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

barde de Temrah, Angantyr, Hialmar, Sigurd, Gudrune, Velléda, Nurmahal, Djihan-Ara, dom Guy, Mouça-el-Kébyr, Kenwarc’h, Mohâmed-ben-Amar-al-Mançour, l’abbé Hiéronymus, la Xiména, les pirates malais et le condor des Cordillères, et le jaguar des pampas, et le colibri des collines, et les chiens du Cap, et les requins de l’Atlantique, ce poète finalement ne peint que lui, ne montre que sa propre pensée, et, seul présent dans son œuvre, ne révèle sous toutes ces formes qu’une chose : l’âme de Leconte de Lisle.

Mais c’est assez. Les plus grands n’ont pas fait davantage. Ils n’ont parlé que d’eux. Sous de faux noms, ils n’ont montré qu’eux-mêmes. Je faisais cette réflexion tantôt en relisant les vers magnifiques des Poèmes barbares, des Poèmes antiques et des Poèmes tragiques. Si elle est juste, et je suis disposé autant que personne à croire qu’elle l’est, si elle est juste, j’aurai réconcilié d’un coup les poètes personnels comme Alfred de Musset avec les poètes impersonnels comme M. Leconte de Lisle. Mais ils ne m’en croiront pas.